Sous emprise : le contrôle coercitif
- marionguilloux225
- il y a 23 heures
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Dernière mise à jour : il y a 9 heures
Novembre 2025.
Une femme d’une cinquantaine d’années pousse la porte de mon cabinet.
Deux ans plus tôt, elle a quitté son mari.
Elle est partie. Enfin.
Autour d’elle, pourtant, c’est l’incrédulité. Le choc. L’incompréhension.
Son mari était « irréprochable ».
Et surtout, dans son milieu, on ne divorce pas. Beaucoup préfèrent préserver l’apparence de la réussite.
Partir, c’est devenir la source du problème, celle qui dérange, celle qui fait éclater l’image parfaite du couple.
Mais elle, elle est partie.
Elle a réussi à refuser un rôle qui l’étouffait depuis des années.
Pour certains de ses proches, elle aurait quitté son mari « du jour au lendemain », « sur un coup de tête ».
Ce que personne ne sait — ou ne veut savoir — c’est que c’était la troisième fois qu’elle essayait de partir.
Personne, pas un ami, ne lui a demandé : « Comment vas-tu ? ». Non.
Dans les discours, c’est le mari qui souffre, celui qu’elle a « abandonné ».
Il faut dire que le Code civil ( plus exactement le Code Napoléon de 1804 ) a profondément marqué les mentalités :
« Le mari doit protection à sa femme ; la femme lui doit obéissance. »
Un héritage patriarcal tenace : l’obligation d’obéissance n’a été supprimée qu’en 1938, et l’égalité des époux n’a réellement été inscrite dans le Code civil qu’en 1970, avec la fin de la notion de « chef de famille ».
Un poids encore bien présent aujourd’hui dans nos représentations.
Et dans cette histoire, comme dans tant d’autres, on se trompe de question.
La question n’est pas pourquoi elle est partie, mais pourquoi elle est restée si longtemps. Demandons nous, qu a-t-il mis en place pour qu’elle ne puisse pas partir.
Le contrôle coercitif, cette violence invisible
La violence conjugale est souvent associée aux coups. Or, bien avant les passages à l’acte, se déploie une forme de violence plus subtile, progressive, mais tout aussi destructrice : le contrôle coercitif.
Il ne s’agit pas d’un acte isolé, mais d’un processus d’emprise, de pouvoir, de domination qui enferme psychologiquement la victime, réduit son autonomie et altère sa perception de soi, son estime de soi.
Cette violence, invisible à l’extérieur, est pourtant le socle de la plupart des violences physiques et des feminicides.
La violence conjugale, rappelons le, prend plusieurs formes :
Psychologique : humiliations, critiques incessantes, menaces, chantage affectif ou au suicide.
Verbale : insultes, dénigrements, injures répétées, intimidation.
Économique : contrôle de l’argent, interdiction de travailler, privation de ressources.
Sociale : isolement, restrictions des contacts avec la famille, les amis, le milieu professionnel.
Numérique : surveillance permanente via téléphone, géolocalisation, espionnage des messages, cyberharcèlement.
Qu’est-ce que le contrôle coercitif ?
Le contrôle coercitif se manifeste à travers diverses tactiques visant à restreindre l’autonomie et la liberté de l’autre partenaire.
Il ne laisse pas de traces visibles. Il se déploie lentement, souvent sous couvert d’amour, de protection ou de jalousie « normale ». Les victimes minimisent, banalisent, rationalisent, car les agressions sont entrecoupées de moments d’accalmie ; culpabilisent puis s’épuisent, jusqu’à perdre leurs capacités d’analyse.
C est du terrorisme familial. Il ne s’agit pas d’un geste isolé, mais d’un ensemble de comportements dont le but est de faire peur, contrôler, isoler, affaiblir et soumettre.
Chaque geste, chaque parole, chaque silence, sert à prendre le pouvoir.
Exemples concrets :
Oppression et harcèlement
SMS incessants “T’es où ? Réponds !”, " Pourquoi tu ne réponds pas ! " , " Tu devrais déjà être rentrée", "Pourquoi t es en retard ? "
Surveillance constante : exiger d’être joignable sans cesse, (appels, SMS, géolocalisation).
Exiger les mots de passe, lire les messages, mails, historique d’appels etc
Insultes et humiliation et dénigrements
Dévalorisation, critiques constantes, culpabilisation.
« Tu oublies toujours tout, t’es vraiment incapable. » ; « Tu es vraiment incapable de faire quoi que ce soit correctement » ; « Arrête de parler, tu vas encore dire une bêtise » ; « T’es qu'une merde », « T’es une pute », « Ferme-la ! » ; « Tu sers à rien » etc.
Intimidation, menaces directes ou indirectes
Taper dans les murs,
Claquer les portes,
Avoir des gestes menaçants,
Jeter des objets, bloquer une porte
Menacer “je vais te tuer”, menacer la famille, les enfants,
Chantage au suicide " tu me rends fou, je vais me foutre en l air ! " « Si tu pars, je me tue »,
Contrôle du quotidien ( décisions imposées et routines contrôlées)
Décider des sorties, des vacances, ne jamais prendre en compte l'avis et les besoins de l autre
Contrôler le corps et la tenue
Contrôler l’argent
Contrôler les relations sociales, les horaires, les libertés personnelles, les loisirs.
Même sans les coups, ces comportements sont de la violence. Ils paralysent, effraient et privent de liberté.
Ces comportements ont des conséquences psychologiques. En effet, le contrôle coercitif agit comme une érosion identitaire.
Les critiques incessantes, les humiliations et les intimidations sapent l’estime de soi de la victime, semant le doute et la confusion quant à sa propre valeur et ses capacités. La victime peut commencer à internaliser ces messages négatifs. Chute de l’estime de soi, anxiété et hypervigilance, troubles du sommeil et de la concentration, culpabilité, repli social, sentiment de confusion (« je ne me reconnais plus »), dépression majeure etc.
Bien souvent, en plus l auteur utilise le gaslighting, une forme de manipulation psychologique subtile qui vous fait douter de votre memoire, de vos perceptions ou de votre jugement, et vous donne l'impression de perdre la tête.
« Tu te fais des idées, ça n’est jamais arrivé » alors que ça s’est produit. « Tu exagères tout le temps » ou « Tu es trop sensible ».
⚖️ La loi reconnaît ces violences
Même si le contrôle coercitif n' est pas encore une infraction autonome, la violence psychologique est répréhensible par la loi, ainsi que le harcèlement sur conjoint.
Nommer ces violences, c’est reconnaître la réalité vécue et rappeler que personne n’a à subir ces pratiques.
📌 Ressources et numéros utiles
3919 — Violences Femmes Info (24h/24, gratuit, anonyme)
17 — Police / Gendarmerie
Centre Hubertine Auclert — conseils, Violentomètre, repérage des cyberviolences : www.centre-hubertine-auclert.fr
Associations locales : CIDFF (Centre d'Information des Droits des Femmes et des Familles, 02 96 78 47 82)
Planning Familial




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